Citations

«Il faut toujours faire confiance aux scénaristes qui lisent.» Alessandro Baricco. Une certaine vision du monde.

jeudi 26 avril 2012

Les erreurs de scénario


Comme la Cour supérieure (district de Hull) nous oblige à donner nos cours à distance, je me prête à l’exercice. Voici donc mon cours pour cette semaine.

Comme nous avons étudié la construction du scénario dans la première partie du cours, nous allons maintenant examiner un texte de Michel Chion publié dans son livre Écrire un scénario et intitulé : «Les fautes de scénario (pour mieux les commettre)».

Pour illustrer mon propos, je vais utiliser le scénario «Des négociations pas de classe» écrit par l’étudiante Line Beauchamp sur une idée originale du Parti libéral du Québec. 

Ce texte comprend 16 points. Nous allons les examiner un par un. Cette matière ne sera pas à l’examen lors du retour en classe.

1. À quoi ça se voit? Comment le lecteur comprend-t-il les motivations des personnages ? Ici, c’est très réussi. Le lecteur comprend aisément les motivations du personnage de la ministre par ses gestes. Même si cela peut paraître un peu gros, nul n’est dupe du fait que le personnage de la ministre ne veut pas et n’a jamais voulu négocier.

2. Bateau (sentiment d’avoir été mené en). Ici la faute est grossière. Elle peut aussi se traduire par la phrase suivante : il ne faut pas prendre ses (é)lecteurs pour des valises.

3. Bout-à-bout. «Si le film apparaît comme une collection de scènes sans structure et sans progression, sans lien fort de nature logique ou organique, on a le sentiment d’un bout-à-bout. Un scénario en bout-à-bout contreviendrait donc à deux lois au moins du scénario classique : loi d’unité, loi de progression continue.» Après 12 semaines, on ne sent pas de progression dans les actions du gouvernement. On revient à la case départ. La progression continue, par contre, se sent bien du côté des «méchants étudiants».

4. Coïncidence. Est-ce une coïncidence que des rumeurs d'élections commencent à se faire entendre? Cela pourrait être considéré comme une faute dans l’écriture du scénario.

5. Dénouement (faiblesse de). Malheureusement, la scénariste semble tout faire ici pour éviter qu’il y ait un quelconque dénouement. À retravailler.

6. Déviation. «La déviation, au cours du récit, par rapport à l’idée de départ (…) peut être un défaut. Elle est, la plupart du temps, le résultat involontaire d’une accumulation de détails qui font perdre de vue l’enjeu, le thème principal, et qui peuvent faire prendre à ceux-ci un sens inverse et nouveau.» Effectivement, le thème principal, la hausse des frais de scolarité, semble avoir été perdu en cours de route par le personnage de la ministre. Si cela est involontaire, Il faudrait quand même parvenir à dévier dans l’autre sens.

7. Explicatif (dialogue). Cette faute s’observe lorsque l'on sent que c’est le scénariste et non pas le personnage qui parle. Tous les dialogues du scénario seraient en ce sens à revoir.

8. Faux implants. Le faux implant est l’établissement d’une chose non utilisée. Il serait bien que, si la scénariste implante une table de négociation dans son scénario, qu’elle l’utilise par la suite au lieu de créer un faux suspense.

9. Invraisemblance. «C’est un vieux débat que celui sur le vrai et le vraisemblable, et Boileau le résumait en ces termes : «Jamais au spectateur n’offrez rien d’incroyable / Le vrai peut quelquefois n’être pas vraisemblable.» J’ai beau observer le débat depuis les débuts, et savoir que tout cela est vrai, il n’empêche que l’on ne peut s’empêcher de croire que tout cela est invraisemblable. Voici la preuve que la réalité ne fait pas toujours un bon scénario.

10.             Jeu de c... (ou intrigue idiote). «Un Idiot plot est une histoire où les personnages doivent se conduire comme des imbéciles pour permettre à l’intrigue de se dérouler.» Je ne m’étendrai pas sur ce point.

11.             Minceur de l’histoire. Si l’histoire est trop mince, le scénariste se sent obligé de remplir son scénario avec des scènes qui ralentissent l’action. Or, ce que le lecteur veut, c’est que l’histoire progresse. Il y a trop de scènes statiques dans ce scénario.

12.             Mollesse, piétinement. «Il y a impression de mollesse, de piétinement si tout est trop statique ; s’il n’y a pas de progression (…)».  Ce point a déjà été abordé.

13.             Personnages (défauts dans l’utilisation des). Michel Chion définit ici 8 cas de défauts dans l’utilisation des personnages. Le premier nous semble éloquent dans le cas qui nous concerne ici : «Le personnage-marionnette, ou porte-voix, transmettant un message ou des mots d’auteurs, plutôt que doué d’une vie propre.» Il faudrait retravailler le personnage de la ministre. Une autre faute souvent commise, mais qui pourrait être habilement utilisée ici est la «conversion subite : le personnage change d’attitude, de croyance, de comportement, sans que cela ait été préparé. » Dans l’état actuel du scénario, cette faute serait la bienvenue.

14.             Qu’est-ce qui les empêche de…Je ne citerai que Michel Chion : «Souvent aussi, on a l’impression que le malentendu entre les héros, qui fournit à l’intrigue son ressort principal, pourrait être facilement levé par un petit effort de sincérité.» Un simple petit effort.

15.             Téléphoné (effet). Honnêtement, l’annulation des négociations semble beaucoup trop téléphonée. Le lecteur s’y attend trop, dès les débuts de l’ouverture des négociations. Le téléphone peut aussi servir à rétablir les ponts entre les personnages.

16.             Trou. Là où on semble s’enfoncer à la lecture du scénario.

Fin du cours pour cette semaine. 

Toutes les citations sont tirées du livre de Michel Chion, Écrire un scénario.

Je m'en retourne vécrire


André et moi devrions nous remettre bientôt au travail pour notre second livre. Si le premier utilisait la Crise d’octobre comme toile de fond, le deuxième tournera un peu autour du Sommet de Montebello de 2007. Un peu seulement parce qu’un des thèmes développés dans ce récit, c’est le refus de l’implication sociale. La question est de savoir si le personnage va réussir à se rendre ou non à Montebello pour manifester.

Quant au troisième, qui devait originalement se dérouler au Chili durant la grève étudiante de 2011, il devrait connaître certaines modifications au niveau du scénario. L’histoire risque fort d’être déplacée au Québec  en avril 2012.  Je n’en sais encore trop rien. Tout cela est trop émotif pour l’instant pour avoir un certain recul avec tout ce qui se passe.

Pour le moment, je continue ma recherche sur le terrain. Comme le disait le narrateur dans Salut Galarneau de Jacques Godbout : «…ou tu vis, ou tu écris. Moi je veux vécrire…». Je m’en retourne vécrire.

mercredi 25 avril 2012

Je sais aussi être égoïste



 Ce que je fais depuis les dernières semaines, je le fais par conviction et par solidarité envers tous les étudiants et étudiantes du Québec en grève. Mais je le fais également par égoïsme.

Je crains sincèrement les impacts d’une hausse des frais de scolarité sur le programme en bande dessinée que j’ai aidé, avec d’autres, à mettre au monde en 1999. Je suis très fier de ce que nous avons réalisé à l’ÉMI avec ce programme. Il y a 10 jours (une éternité me semble-t-il) j’étais au Festival de bande dessinée de Québec. J’en ai retiré une très grande fierté de voir le nombre très élevé de diplômés et diplômées de l’ÉMI qui ont fait leur place ces dernières années dans le milieu. Cela justifie aisément, selon moi, le rôle et la qualité de notre formation.

Mais qu’arrivera-t-il après une hausse aussi drastique des frais de scolarité sur notre capacité à attirer des étudiants et des étudiantes ? Le calcul est simple. Plus les frais sont élevés, plus l’endettement étudiant sera grand. Or, les futurs candidats risquent de choisir des formations universitaires qui vont leur garantir des revenus plus importants une fois leurs études complétées. Il me semble que des formations en bande dessinée, en arts visuels, en philosophie, en études littéraires etc. vont écoper suite à cette décision gouvernementale.

De plus, comme nous sommes la seule université à offrir le programme en bande dessinée, la majorité de nos étudiants et étudiantes proviennent des quatre coins de la province. Souvent, ils doivent s’exiler pour suivre leur formation. Ils ne peuvent habiter chez leurs parents et les frais encourus sont plus grands. C’est ce que j’ai entendu à plusieurs reprises à Québec.

Tout cela j’en ai toujours été convaincu. Et j’en ai eu la confirmation dernièrement. J’ai rencontré un de mes anciens étudiants durant la grève, Marc Michaud. Marc est originaire de l’Alberta et a suivi la première année du programme il y a de cela plusieurs années. Mais il a abandonnée après cette première année. C’était un étudiant plein de potentiel. Ceux qui suivent le programme depuis ses débuts se remémoreront peut-être le fanzine Nom d’un chien qu’il avait créé avec son frère Daniel et Andrée-Julie Tardif. Ce fanzine avait retenu l’attention de différents professionnels du milieu de par ses qualités graphiques et narratives, surtout qu’il était l’œuvre d’étudiants de première année.

Mais Marc a abandonné ses études. Je continue de le voir à l’occasion. Ne pouvant être son professeur, je lui sers de «coach» dans la mesure de mes moyens. J’étais chez lui il y a 2 semaines pour lui remettre une lettre de recommandation pour une demande de bourse. Nous avons discuté de la grève et des frais de scolarité. Probablement que j’avais mon carré rouge sur moi. Il m’a avoué que sa décision d’interrompre ses études émanait de la trop grosse charge financière qui lui était demandée. Marc devait, à l’époque, payer les frais de scolarité albertains. Et qu’à près de 4 000 dollars par année, cela représentait un coût trop grand surtout en regard des possibilités d’emplois à la sortie de l’université. Aujourd’hui, maintenant qu’il habite au Québec, il pourrait revenir à l’université. Mais avec une famille, cela complique les choses. Et la hausse prévue va nous rapprocher dangereusement des frais demandés en Alberta.

Marc continue de faire de la bande dessinée. Ça ne prend pas obligatoirement un diplôme pour en faire. Mais j’ose espérer que la hausse des frais de scolarité ne nous fera pas perdre trop d’étudiants et d’étudiantes comme Marc qui désirent faire de la bande dessinée et suivre une formation universitaire de qualité.

Je continuerai à me battre parce que l’éducation c’est un droit et non un privilège. Je continuerai à me battre pour moi. Pour mes étudiants et étudiantes en bande dessinée. Pour tous les étudiants et étudiantes. 

mardi 24 avril 2012

L'injonction est prolongée jusqu'à vendredi

L'injonction est donc maintenue. Mais de façon différente. Exit les conditions normales d'enseignement. Maintenant :


«En conformité avec l’ordonnance rendue aujourd’hui par la Cour supérieure, la direction de l’UQO informe les membres de sa communauté universitaire de Gatineau qu’au lieu d’offrir ses cours de façon normale, elle prendra les mesures raisonnables requises afin de permettre à ses étudiants de poursuivre leur apprentissage par tout autre moyen que les cours en présence, dont, notamment, par voie électronique, et ce, dans le respect de la liberté académique, de la finalité des programmes et en tenant compte des contraintes logistiques.»


Nous devons donc donner nos cours à distance. J'ai de la difficulté à concevoir ce que je vais faire avec les 2 cours que j'enseigne : «Synthèse en bande dessinée» et «Scénarisation du récit en images». Ce sont des cours-ateliers. À cette étape-ci de la session, ce sont des rencontres individuelles que je devrais faire avec mes étudiants afin de suivre l'évolution de leurs travaux. Je leur demande d'envoyer des croquis par courriel ? C'est parfois déjà assez difficile à lire sur papier. Je leur demande de numériser leurs planches et de me les envoyer ? Pour cela les étudiants devront se rendre à l'université pour utiliser le grand scanner du laboratoire informatique. J'ai aussi 4 étudiants qui n'ont pas fait leur exposé oral. Je crois que je vais leur demander de le faire par écrit.


Les profs de l'ÉMI vont devoir faire preuve d'une grande imagination pour donner des cours de dessin, de sculpture et de performance à distance.  


De retour en cour vendredi prochain. Il semble que la juge ait refusé d'entendre le syndicat des professeurs parce que nous ne sommes pas partie prenante du dossier. Si l'université se voit dans l'obligation de donner des cours, il me semble que les profs devraient alors être considérés comme partie prenante du dossier. Mais visiblement je n'y connais pas grand chose en question de Droit. 


Ce que je ne comprends pas non plus, c'est comment on peut respecter le vote de grève démocratique des étudiants. J'envoie un courriel à tous les étudiants du cours en leur demandant s'ils veulent ou non recevoir des instructions et/ou de la matière et, par la suite, j'envoie tout cela à ceux qui le désirent ? Quant aux autres, ils peuvent continuer leur «boycott» à distance. J'emploie les guillements, bien sûr.


Ce que je sais c'est qu'ils étaient plus de 1 000 étudiants à voter pour la reconduction de la grève en assemblée et que tout cela s'est fait dans les règles (voir la lettre de mon collègue Jacques Boucher dans «Le Droit» d'hier). Ce que je sais aussi c'est que le Syndicat des professeurs a adopté une résolution appuyant le mouvement de grève des étudiants. Ce que je sais c'est que je ne sais plus comment respecter ces décisions démocratiques et que je ne sais plus quoi faire pour vivre en adéquation avec mes principes et mes valeurs.


Il n'y aura pas grand monde à l'université cette semaine. Moi, je serai à mon bureau. Parce que je dois travailler à imaginer des cours à distance. Et parce que je dois travailler sur les autres composantes de ma tâche (recherche, administration et services à la collectivité). Et parce que je ne suis pas installé pour travailler à la maison. Et parce que tous mes livres et dossiers sont à l'université. 


J'y retourne. Et je remets mon carré rouge.




lundi 23 avril 2012

Merci

Le carré rouge qui était sur la porte de mon bureau depuis un mois a été arraché en fin de semaine. Il ne reste que le scotch tape. L'atmosphère est étouffante ici.

Visiblement, j'ai touché beaucoup de monde avec mon dernier billet. C'est réciproque. Vos commentaires, sur le blogue et facebook, m'ont également beaucoup touché. J'ai été très ému à vous lire. Merci. J'aimerais vous écrire personnellement à tous. Ne m'en veuillez pas si je n'y parviens pas. Ce n'est qu'une question de temps.

Bonne journée à tous.

samedi 21 avril 2012

Ma semaine d'injonction



Nous voilà enfin samedi. La semaine est terminée. Une autre comme tant d’autres. Mais moi, je ne serai plus jamais comme avant. J’ai vu et ressenti trop de choses et d’émotions contradictoires tout au long de ces journées que je me sens épuisé physiquement et psychologiquement.

J’ai ressenti de la joie quand j’ai vu les étudiants sortir lundi du pavillon Taché, libres et sans qu’il y ait eu de la casse. J’ai ressenti de la fierté quand mon université s’est présentée en cours pour demander la fin de l’injonction. J’ai ressenti de la colère quand j’ai vu des étudiants blessés. J’ai ressenti du désarroi quand j’ai vu des collègues se faire arrêter et se faire expulser de l’université. J’ai ressenti de la tristesse quand j’ai vu des collègues exténués de fatigue et au bord de la crise de larmes. J’ai vu et vu tant de choses anormales cette semaine que j’ai l’impression d’avoir du jell-o dans la tête (comme le dirait Charest avec son sens de l’humour). Et aussi, aussi, j’ai connu la peur.

Un carré rouge
La peur dans ma propre université où j’enseigne depuis 13 ans. La peur parce que je porte sur mon manteau un petit carré rouge. Le même que j’ai vu sur des centaines et des centaines de personnes à Québec la fin de semaine dernière lors du Salon du livre de Québec et du Festival de bande dessinée de Québec. Un petit carré qu’arboraient des mères de familles, des travailleurs, des jeunes, des vieux, des professionnels du livre et de la bande dessinée; des centaines voire des milliers de carrés rouges aperçus dans l’enceinte du Salon du livre, dans le vieux-Québec ou dans le quartier St-Roch. Un carré rouge qui semble anodin.

Mais un carré rouge qui est devenu cette semaine un symbole criminel. Un carré rouge qui témoigne de ma prise de position contre la hausse des frais de scolarité et de mon appui aux étudiants en grève pour combattre cet enjeu. Un carré que j’ai retiré de mon manteau à l’intérieur de mon propre pavillon, en arrivant à mon bureau ce mercredi. Parce que j’ai eu peur. Parce que ce que j’ai vu dans les yeux des nombreux gardiens de sécurité que j’ai croisés dans les corridors entre l’entrée et mon bureau ce fut, soit le mépris, soit la crainte. J’ai clairement senti qu’un gardien de sécurité semblait tendre ses muscles, prêts à se défendre si je lui sautais dessus. Parce que j’avais un carré rouge. Parce que je devais passer devant lui pour me rendre à mon bureau. Parce que j’exprime une opinion à l’intérieur d’une université. Une université devenue policière.

J’ai connu la peur en entendant les bottes de l’anti-émeute. J’ai connu la peur en voyant de près des fusils à gaz lacrymogènes. J’ai eu peur pour moi, mais surtout pour les autres. Pour mes étudiants qui se retrouvent pris dans cette tourmente parce que le gouvernement refuse de négocier, parce que des tribunaux forcent des universités et des cégeps à enseigner malgré les votes des assemblées étudiantes. Des associations étudiantes qui sont légitimes et qui ont le droit de grève comme le rappelaient des juristes à Radio-Canada cette semaine:

Une injonction

Moi, j’ai une injonction qui m’oblige à enseigner. Qui m’oblige à faire comme si tout était normal. Pourtant, voici les messages que nous recevons de la direction :
«Devant la manifestation de ces inquiétudes, nous vous offrons, si vous le souhaitez, la possibilité qu’une personne préposée à la sécurité (pas un policier mais un agent de sécurité dont on peut retenir les services auprès de firmes spécialisées) soit présente à l’intérieur de votre salle de classe pendant la durée de votre cours. Cette personne n’aurait aucune autre fonction que de veiller à la sécurité de toutes les personnes dans la classe.»
Donner un cours avec un gardien de sécurité à l’intérieur du cours. Et nous sommes censés faire comme si tout était normal ? Est-ce facile de transmettre de la matière dans ces conditions ?

Autre message reçu jeudi matin alors que je préparais mon cours du jeudi soir :

«Les mesures de sécurité ont été renforcées ce matin afin d’éviter des débordements à l’intérieur des murs de l’UQO. Toutefois, advenant un mouvement de foule à l¹intérieur des pavillons du campus de Gatineau, vous devrez vous retirer le plus rapidement possible dans vos bureaux ou un autre endroit sécuritaire et fermer la porte à clé pour permettre aux gardiens de sécurité et aux policiers de gérer la situation. Le cas échéant, il vous est demandé d’attendre les instructions du Service de Police ou de la direction de l’Université.»

Cela n’aide en rien à créer un climat sain.

Au jour le jour
À part durant les heures de cours, rien ne m’oblige à me rendre à mon bureau. Je peux travailler de chez moi. Pourtant j’ai passé la semaine à l’université. Mais pas dans mon bureau. Dehors avec les étudiants. Je ne suis pas un activiste, je ne suis pas un militant, je ne suis pas un terroriste. Je suis un professeur qui a pris position contre la hausse des frais de scolarité et qui a décidé d’appuyer la grève des étudiants par la suite. Je croyais faire partie d’un débat, d’une discussion. Mais depuis lundi, je me sens en état de guerre. À chaque matin je me suis installé à mon bureau pour travailler. Et à chaque matin, je suis sorti pour rejoindre le mouvement à l’extérieur. Tout cela parce que je veux vivre en accord avec mes principes.

Lundi : parce que des étudiants s’étaient barricadés à l’intérieur du pavillon Taché. Je suis resté jusqu’à ce qu’ils sortent. Parce que j’en avais envie. Parce que je voulais que cela se termine pacifiquement. Parce que j’ai reconnu des étudiants et étudiantes à moi à l’intérieur. Parce que je sais que ces filles ont 19 et 20 ans. Et que ce ne sont pas des terroristes. Et quand nous avons appris que l’anti-émeute s’approchait, la réaction spontanée des profs présents a été d’aller se mettre devant les portes entre les étudiants et les matraques qui, heureusement sont restées coites cette journée-là. Pas parce que nous sommes des héros. Parce que nous avons senti que c’était la seule chose à faire.

Mardi : parce que j’ai appris l’arrestation d’un de mes collègues. Devant son bureau. Parce qu’il représentait une menace ? Avec son gabarit j’en doute. Parce qu’il avait été le porte-parole des profs contre la hausse la veille ? Je n’ai pas la réponse. On n’a rien pu faire. Ils l’ont emmené au poste. Nous avons attendu derrière avec les étudiants. On nous a annoncé l’ouverture imminente des portes. Nous avons attendu. Les portes se sont ouvertes. Mais pas pour ceux qui portaient des carrés rouges. Nous sommes restés dehors. Nous avons attendu. Pacifiquement. Nous avons vu une collègue se faire expulser de l’université par des policiers. Parce qu’elle filmait.

On nous a annoncé que l’administration allait venir nous parler. Ils sont venus. Ils ont dit : «On vous demande de quitter les terrains de l’université, sinon vous serez considérés comme des intrus.» Et nous avons dû quitter, escortés par les policiers. J’étais un intrus dans ma propre université.

Mercredi : parce que 160 personnes ont été piégées et capturées sur la Promenade du Lac des Fées. À côté de mon bureau. Parce que je ne peux rester insensible à cela. Parce que ce sont mes étudiants et mes étudiantes. Ceux que je connais et ceux que je ne connais pas. Parce que 440$ d’amende, c’est plus que l’augmentation prévue des frais de scolarité. Parce que deux de mes collègues se sont fait arrêter également. Parce que tout cela me dégoûte.

Jeudi : Parce que j’ai reçu le message de me barricader dans mon bureau s’il se passait quelque chose. Parce qu’au lieu de faire cela, je suis sorti de mon bureau et j’ai rejoint la manifestation. Parce que j’en ai ras-le-bol. J’ai manifesté dans les rues. Parce c’est légal de manifester. Je crois. Je me suis retiré lorsque nous sommes arrivés sur les terrains de l’université. Tout en restant près. Très près. Afin de voir. Afin de témoigner.

Je ne suis pas masochiste. Je ne fais rien d’illégal. Je ne fais rien. Rien qu’observer. Observer pour pouvoir témoigner. Offrir ma solidarité. Regarder. Garder les yeux ouverts malgré l’envie de vouloir les détourner. Crier avec les étudiants, les professeurs, les travailleurs, les parents qui sont dans la foule. Crier plus fort pour se faire entendre. Essayer de ne pas trop trembler. Essayer de garder la tête froide. Essayer de ne pas trop être perturbé devant mes enfants le soir quand j’essaye d’avoir une soirée normale en famille après la dose incroyable d’émotions. Être là. Etre simplement là. Pour les étudiants. Pour mes formidables collègues que je croise sur la ligne de front. Pour tout le monde.

Je ne suis pas masochiste. Mais je serai là encore lundi matin à mon bureau. Je vais travailler. Et je vais attendre. Je me sens incapable de faire autrement.